J’irai cocher chez Paul
Hier j’ai ouvert les yeux, mon patron venait me dire pour la énième fois que je faisais un travail de porc. Oui, c’est bien dans ces termes là qu’il qualifie mon savoir‐faire. Moi, je suis de la ville et je n’ai jamais vu un porc de ma vie à part dans mon assiette ou bien à la télé…en direct de l’assemblée nationale sur la 3, l’après‐midi.
Du coup, j’ai été très vexée d’être comparée à un tel animal. J’ai donc rendu mon tablier. Ce qu’il a trouvé très drôle comme ce tablier en l’occurrence est le mien…forcément, j’étais cuistot. J’ai, quoiqu’il en soit, quitté l’entreprise et puis là…Rien ! Un peu à la rue, je n’avais pas prévu que ça allait être si difficile d’être rien. Il me fallait un statut. Chômeur j’ai pensé ! C’est sympa d’être chômeur m’a dit un ami. Alors si c’était sympa, moi j’ai dit, pourquoi pas ! Il m’a donc conseillé d’aller voir un certain Paul Lamploix? un mec super calé en chômage selon lui!
Donc je lui fais confiance, prends les coordonnées de ce brave Paul… Lui demande un peu gênée quand même : « Mais tu es bien sûr que je ne vais pas le déranger ? »
Lui de répondre « Non !!!! Ne t’inquiète pas, c’est son taf ! »
Donc! Je prends mon téléphone, compose les 4 chiffres de son numéro! Et là, pas de chance, je tombe sur son répondeur. Déjà, il m’avait mentie ; ce n‘était pas Paul mais Paulette puisqu’à ma grande surprise, c’était la voix d’une femme que j’avais au bout du fil. Elle me dit donc de préciser la raison de mon appel avec des mots clé à bien AR‐TI‐CU‐LER.
Concentrée, je l’écoute poliment : « Dites inscription, si vous souhaitez vous inscrire ou vous réinscrire », d’accord, «Dites actualisation si vous souhaitez vous actualiser ». J’attends donc le moment fatidique où le bip annoncera que c’est à moi de parler. Bip qui, soit dit en passant, arrive tout à la fin d’une liste exhaustive. Le bip arrive enfin, je prends une grande inspiration et là… « Euuh inns… » et Paulette de rétorquer : « Je suis désolée je n’ai pas compris votre demande, merci de recommencer ».
Et rebelote : « Si vous souhaitez vous inscrire ou vous réinscrire dites inscription… blabla..je n’ai pas compris votre demande ».
Au bout du troisième appel, je suis rodée. Je parviens à anticiper les questions de Paulette et appuie sur les touches avant même qu’elle prononce la première syllabe de sa phrase. Finalement j’obtiens un rendez‐ vous. Je ne sais pas quand, la dame m’a dit qu’elle m’enverrait un courrier.
Ce matin je me dirige Rue Paul Cazeneuve, chez M. Paul Lamploix qui a habilement choisi sa rue. Ne vais‐je pas rentrer dans une nouvelle case? Puis des cases, j’en coche à bâtons rompus, des « oui », des « non » mais pas de « ça dépend » parce que ça dépasse.
Une dame énumère une liste de compétences que je dois valider par un signe de tête. La dame ne tolère pas les hésitation, son PC non plus. Il paraît que je n’ai pas le droit aux ASSEDIC car j’ai démissionné. La dignité coûte cher, pensé‐je à cette seconde. Je revois les six dernières années passées à me faire exploiter, dans une atmosphère de tension continue. Lorsque je tente d’en parler, l’écran d’ordinateur de mon interlocutrice semble brouiller la communication. C’est comme un mur virtuel qui censure les états d’âme. Ce qui intéresse le PC, c’est concrètement les cases à cocher. Grâce à cela, on me dressera un profil.
Je ressors de mon rendez‐vous avec la tant convoitée carte de demandeur d’emploi qui me donne le droit d’avoir une nouvelle étiquette, et c’est tout. Je reviendrai chez Paul pour apprendre à rédiger une lettre de motivation puisque la dame a conclu le rendez‐vous noir sur blanc : « je vous est diriger vers l’atelier de CV+lettre de motivation afin de vous donnez des outils dans votre recherche d’emploi ».
Tre Buchi