
Depuis plusieurs matins, je m’empressais de lever le courrier avant que mon chéri ne le fasse. Je n’attendais rien de compromettant ni mots codés du milieu lyonnais, ni carte de parti car un jour de septembre 1979, au sortir d’une fête à La Courneuve, je m’engageai de ne jamais en prendre aucune…
Pire, j’avais accordé ma compassion à une passagère clandestine. Ce matin, Monsieur me devança et commis le crime de lèse-humanité que je craignais ; il chassa mon araignée de son refuge, il la poursuivit jusque dans le caniveau et l’écrasa du talon sous le seul prétexte qu’il n’aime pas les araignées. Gitane, c’était son nom, ne faisait pourtant rien de mal dans notre boite aux lettres à se réchauffer les pattes.
D’extrême-onction en extrême affliction de droite à gauche, d’extrême gauche à centre droite… mon cœur balançait. Je m’en tirai d’un mal de tête. Gauche, droite, gauche, droite au pas de charge comme un bon petit soldat, je m’en fus chercher une boite d’allumettes pour les funérailles. Je descellais un pavé du trottoir ; tout un art, cet art de la rue auquel s’initient les saltimbanques en faisant leur gamme au son du tambourin. C’est avec deux larmes de crocodile qu’en bandoulière sur la défunte mutilée, je déposai en grandes pompes, les restes d’une patte. Un coup de plumeau en guise de bénédiction ; je ne me souviens jamais par quel bout continuer… droite, gauche, gauche, droite… Alors en guise de prière, je lui récitai : « Va, pensée, sur tes ailes dorées,/Va, pose-toi sur les versants, sur les collines,/Où embaument, tièdes et douces,/Les brises suaves de notre sol natal ! »1
Au milieu, du trottoir, le trou… Et dans le trou, une toile… Un filet énorme qui dépassait de la boite, qui envahit le trottoir, qui commençait à s’agripper aux murs du bistrot, son ancien QG. Gitane voulait me la faire au sentiment, me retenir comme partisane parmi ses victimes, les moucherons. Mais elle était morte ! Je replaçai vite le pavé sur le cadavre. Je continuerai à rouler ma bosse en avant du côté du droit chemin.
Ne faut-il pas avoir une araignée au plafond pour vouloir mettre toute la complexité de la pensée humaine dans des cases bien étiquetées aux noms d’Outre-Tombe comme Gaullisme, Maoïsme !.. Il y a la masse des non-pensants mais les plus toxiques sont les bien-pensants à la solde des profiteurs qui se laissent pousser les idées reçues dans le cerveau. Dans une lueur de passivité, ils étouffent vite toute idée d’innovation ou de révolte contre un ordre établi, des fois qu’ils en perdent une demi-miette.
« Quand on sait que cette même plume écrit dans un journal libertaire ! » clama le maire exaspéré de la parution régulière d’un journal citoyen sur sa commune. A ce mot libertaire, lâché un onze novembre, ce mot qui fait peur, j’en appelle à Albert, Monsieur Einstein : « Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal mais par ceux qui les regardent sans rien faire ». Les promesses mensongères d’un candidat politique font partie de ce monde qui s’en accommode.
Les Chefs militaires dont les erreurs répétées contribuèrent largement en 14/18 au sacrifice d’une piétaille héroïque fusillaient aussi pour l’exemple. Contre l’occupant, des « terroristes » défendirent leur pays contre l’ordre établi des Pétainistes faisant leurs affaires. Les doctrines d’un dictateur en herbe séduisent les foules qui attendent ensuite, le secours d’une poignée de courageux qu’ils dénonceront à l’occasion. Un pays sans armée est un non-sens mais les insurgés eurent leur rôle tout au long du 19ème siècle, les syndicats aussi pour faire valoir les droits élémentaires du citoyen qui le devint grâce aux insoumis.
Si l’Homme est un animal grégaire assujetti à son groupe, c’est aussi un être sensible qui ne pourra évoluer dans l’intérêt commun que dans la liberté individuelle et l’amour de l’autre. Sans foi, ni loi, certains de ces hommes qui nous gouvernent ont trouvé la Liberté grâce ce rare sentiment d’impunité et d’arrogance. Ne serait-ce pas une conception dissidente du libertaire ?
Comment faire le ménage sans soulever la poussière, laver Bébé sans remuer la merde. L’anarchie, l’Apocalypse, l’émergence d’un autre monde est un défi, une utopie tant que l’humain sera mué par les mêmes ambitions de pouvoir mais en aucun cas l’idéologie d’un bordel désorganisé comme les barons en place aiment à le claironner. Qui du loup ou du croquemitaine vient le danger ? Ni de l’un, ni de l’autre mais du parent qui sévit, excédé par son enfant capricieux. C’est pour son bien pourvu qu’à l’enfant, il lui fournisse avec la fessée, les armes pour devenir un Homme digne.
1 Paroles tirées du chant des esclaves de Nabuchodonosor, un opéra de Verdi.
Anne Andrée-Roche